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Littérature anglaise - Page 2

  • Gerald Durrell & co

    Le jardin des dieux de Gerald Durrell, dernier volet de La Trilogie de Corfou, est sans doute moins connu des lecteurs francophones que Ma famille et autres animaux et Oiseaux, bêtes et grandes personnes. Paru en Angleterre en 1978, ce récit longtemps inédit en français a été traduit par Cécile Arnaud en 2014. Fidèle à l’esprit des précédents, le naturaliste a choisi de raconter d’autres souvenirs de leur vie de famille à Corfou durant ces années (1935-1939) où chaque jour était « spécial » et pour lui, l’occasion de découvertes passionnantes.

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    « C’était un été particulièrement luxuriant… ». Grâce à l’ânesse Sally, Gerry peut s’éloigner davantage de la villa et partir en expédition en lui faisant porter le matériel nécessaire pour ses activités de collecte, en compagnie des chiens. Informé par un ami paysan de la présence de deux « immenses oiseaux » dans une vallée, il a très envie de compléter sa collection de rapaces, même s’il connaît la facture exorbitante de la viande pour ses animaux. A l’endroit indiqué, il trouve effectivement un nid de vautours fauves, mais inaccessible.

    En chemin, autre chose attire son attention au pied d’un mur écroulé : « un petit animal agile et aussi rouge qu’une feuille d’automne », une jeune belette. Sous ses yeux, elle échappe à un épervier puis se lance à la poursuite d’un lérot, un rongeur qu’il traque depuis longtemps. Les chiens font fuir la belette, mais Gerry capture le lérot qui, une fois installé dans une cage, révèle un ventre gros. Baptisé Esméralda, la femelle de lérot se laisse apprivoiser. Après avoir observé la croissance de ses huit petits, leurs déplacements amusants en file indienne, chacun accroché à la queue du précédent, Gerry relâchera toute la famille dans un champ d’oliviers.

    Il craque aussi devant les onze chiots de Lulu, la chienne de Mama Kondos, et voudrait offrir son préféré à sa mère. Mais celle-ci refuse d’avoir un cinquième chien. Espérant qu’elle changera d’avis en le voyant, il retourne chez la paysanne qui lui dit les avoir tous tués puis, devant son chagrin, les déterre ; elle les avait enterrés vivants ! Le garçon les récupère encore en vie et les ramène chez eux avec la chienne. Sa mère, devant ses pleurs, accepte qu’il les sauve, tandis que son frère aîné, Larry, est furieux qu’elle lui cède une fois de plus.

    Les animaux ne sont pas les seuls à mettre de l’animation chez les Durrell. Sa sœur Margo, de retour de vacances, a invité « des gens intéressants », bien que sa mère se plaigne de devoir sans cesse cuisiner pour tout le monde. Arrivent un vieux Turc et ses trois épouses, plus un petit bélier noir agressif.  Mustapha se dit enchanté de rencontrer la mère de sa « fleur d’amandier » (Margo). Larry comprend que le Turc n’aurait rien contre une nouvelle épouse. La situation tournera, on s’en doute, au chaos total. D’autres visiteurs, un couple d’amis de Larry, deux peintres charmants et naïfs, seront les victimes de Leslie qui leur jouera des farces de plus en plus féroces.

    Pour qui a lu les deux récits précédents, Gerald Durrell réussit à se renouveler ici non seulement par les anecdotes mais aussi dans ses descriptions : l’île comme « un arc bandé » ; la vue, l’été, depuis la terrasse surmontée d’une treille où ils prennent leurs repas et lisent leur courrier au petit déjeuner, vers la mer « placide » comme une « prairie bleue ». C’est le royaume de Gerry depuis qu’il a reçu un petit bateau. Pour soulager sa famille de la présence du comte Rossignol, un Français efféminé, poseur et terriblement chauvin, le cadet l’emmène avec lui sur l’eau, une sortie qui tourne mal (mais très drôle) – le garçon y récolte une expression qu’il se plaira à répéter : « Espèce de con ! »

    L’homme aux scarabées lui vend trois bébés hiboux grands-ducs ; il faudra que son frère Leslie tire des hirondelles pour les nourrir, ce qui tombe très mal le jour où une dame rend visite à leur mère à propos de son projet d’action contre la cruauté des paysans envers les animaux ! En période de chasse, Gerry examine les gibecières et recueille des blessés, comme la huppe rose et noire qui recevra le nom de Hiawatha. En lisant Durrell, on s’émerveille des découvertes et des adoptions de Gerry, et on se demande ce qui subsiste de la faune de Corfou, presque un siècle plus tard.

    Autre visiteur extraordinaire, Prince Jeejeebuoy : en l’absence de Larry, tous s’étaient préparés à l’arrivée d’un prince indien, mais « Prince » est le prénom de ce petit Indien « aux yeux en amande, immenses et étincelants », qu’on appelle Jeejee. « Jamais aucun autre invité n’avait causé autant de chaos qu’il le fit durant son court séjour, et aucun ne nous devint jamais aussi cher. » Leur mère, qui a grandi en Inde, est particulièrement heureuse de parler avec lui de son cher pays natal. Des visites, des animaux, des fêtes, voilà le programme du Jardin des dieux. La Trilogie de Corfou offre trois lectures savoureuses et ensoleillées – à reprendre quand on a besoin d’humour et de soleil !

  • En sens inverse

    Boyd détail d'une mosaïque de ravenne.jpg« Ainsi Cashel refit tout son trajet en sens inverse : un paquebot de Marseille à Gênes, une diligence de Gênes à Bologne, un cabriolet de louage de Bologne à Ravenne. Alors qu’il traversait la plaine entourant la ville, il sentit croître ses appréhensions. Il avait quitté Raffaella à peine plus d’un an auparavant et se demandait comment elle réagirait à son retour. Peut-être aurait-il dû lui écrire, songea-t-il soudain. Trop tard. Et que lui dire si elle acceptait de le rencontrer, ce qui n’avait d’ailleurs rien de certain (il n’avait pas envisagé qu’elle refusât) ? Devrait-il s’excuser ? Mais c’était elle qui avait les torts ; lui n’avait fait que lui accorder son entière dévotion. »

    William Boyd, Le romantique

    Détail d'une mosaïque : deux colombes (Ravenne)

  • Aimer vs partir

    Le romantique ou la vraie vie de Cashel Greville Ross (traduit de l’anglais par Isabelle Perrin) est le dernier roman paru de William Boyd. Dans le prologue signé à Trieste en février 2022, W. B. parle de l’autobiographie inachevée de son personnage  « tombée en sa possession » avec d’autres souvenirs : « j’ai considéré que l’histoire de sa vie, de sa vraie vie, serait bien mieux servie si on l’écrivait ouvertement, sciemment, honnêtement sous la forme d’un roman. »

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    Cashel Greville (1799-1882) a pour premier souvenir d’enfance en Irlande, une rencontre avec un homme en noir sur un cheval noir, qu’il a pris pour la Mort ou « le diable en personne ». Le cavalier lui a parlé avec l’accent anglais de Stillwell Court, différent de celui de Glanmire Lane, le cottage où il vivait avec sa tante Elspeth, gouvernante qui faisait la classe aux deux filles de sir Guy et Lady Stillwell.

    Quand Cashel a eu cinq ans, elle lui a parlé de ses parents morts dans un naufrage en 1800. Bien éduqué, le garçon étudiait bien et son accent écossais, tenu de sa tante, s’était teinté d’irlandais. Quand le départ de ses élèves pour la France fut annoncé, Elspeth annonça leur déménagement à Oxford, en Angleterre, où il s’appellerait désormais Cashel Ross et elle, Mme Pelham Ross ; il devrait l’appeler « mère ». Enceinte, Elspeth comptait sur lui pour ne rien dire de leur vie d’avant, afin d’éviter des ennuis.

    Leur « nouvelle vie » est plus confortable à The Glebe, une maison cossue avec des domestiques, grâce à son nouveau « père », M. Pelham Ross, très souvent pour affaires en Afrique du Sud. En 1809 naissent deux faux jumeaux, Hogan et Buckley. Cashel devient un jeune homme, déniaisé par Daisy, la femme de chambre, bientôt renvoyée pour vol. Quand M. Ross revient, ses affaires africaines tout à coup terminées, Cashel,  intrigué, fouille dans son bureau.

    Une lettre commençant par « Cher sir Guy » lui fait découvrir le secret de leur double vie : Ross est le nom d’emprunt de sir Stillwell. Interrogée, Elspeth lui raconte leur liaison et sa véritable origine : il est leur premier fils. Furieux de tous ces mensonges, Cashel s’enfuit pour « se construire une nouvelle vie quelque part, n’importe où ». Sur une place de marché, le 99e régiment d’infanterie du Hampshire recrute. Cashel est engagé comme tambour sous le nom de Cashel Greville.

    En 1815, Napoléon s’échappe de l’île d’Elbe. Le régiment s’attend à devoir passer à l’action. On leur fait traverser la Manche, puis marcher vers Hal, avant de prendre la direction de Waterloo. Cashel y perd son ami Croker, l’autre tambour, puis reçoit un coup de lance qui lui traverse la jambe. La blessure mettra du temps à guérir. Renvoyé en Angleterre sept mois plus tard, réformé, il y reçoit à l’hospice la médaille de Waterloo et une pension pendant deux ans.

    Avec le temps, Cashel a compris à quel point sa mère lui manque et il rentre à la maison. Son père propose alors de lui acheter une commission d’officier dans la Compagnie anglaise des Indes orientales, pour « voir le monde ». A Madras, il mène une vie de nabab avant de participer à la troisième guerre de Kandy, sur l’île de Ceylan. Choqué par un massacre ordonné par le commandement, Cashel refuse de tirer sur des hommes désarmés et est renvoyé en Angleterre.

    Sur le navire du retour chargé de thé, l’aumônier phtisique avec qui il s’était lié se suicide et laisse à Cashel les soixante-sept ouvrages de sa bibliothèque – de quoi lire sur l’océan Indien. C’est alors que naît son projet d’écrire lui-même sur ses voyages. Lors d’une escale, il embarque sur un navire hollandais qui le dépose à Ostende. Cashel retourne à Waterloo et entame un tour d’Europe.

    A Pise, venu en aide à deux Anglaises en arrêtant leur voleur, il est reçu chez Mme Williams et Mme Shelley, la femme du poète. Grâce aux Shelley, il va rencontrer leur ami, le fameux lord Byron, puis Claire Clairmont, la demi-sœur de Mary Shelley. De retour de Gênes, Cashel reçoit un billet de Shelley lui demandant d’apporter discrètement à Lerici, où ils passent l’été, le portefeuille qui contient des lettres intimes de Claire à Shelley. Cashel découvre des relations cachées, lui-même reçoit des avances.

    Aux péripéties militaires succèdent des parties mondaines et amoureuses qu’il observe avant d’y être mêlé, surtout après qu’on lui a présenté la « contessa » Raffaella Rezzo, mariée avec un homme riche, « pas exactement belle, mais puissante, unique » : elle sera l’amour de sa vie. Mais il quittera Ravenne où elle vit, « devenu aveugle à la beauté depuis qu’une beauté l’avait trahi ».

    Aimer vs partir : Cashel va vivre de nombreuses aventures, continuer à écrire, connaître le succès mais aussi la prison, voyager jusqu’à Zanzibar. Son histoire, c’est « toujours aller de l’avant, mais en laissant derrière lui des gens qu’il aimait ». Ecrit à la troisième personne, Le romantique tient du roman picaresque. Je me suis moins attachée à Cashel Greville Ross qu’à Brodie Moncur, dans L’amour est aveugle, mais sa traversée du monde au XIXe siècle ne manque pas de ressort.

  • L'air d'un dieu grec

    Durrell et Stephanides par Paul Cox.jpg« Avec son beau visage, sa barbe et ses cheveux blond cendré, il* avait l’air d’un dieu grec et paraissait aussi omniscient que s’il en était un. Indépendamment de ses qualifications médicales, il était également biologiste, poète, écrivain, traducteur, astronome et historien, et, en plus de ces activités multiples, il trouvait le temps d’aider au fonctionnement d’un laboratoire de radiologie, le seul de ce genre à Corfou. Je l’avais vu pour la première fois un jour où je m’interrogeais sur un nid d’araignées que je venais de découvrir. Theodore m’avait alors livré de passionnantes informations, me parlant, de son ton mal assuré, comme à un adulte, et j’en étais resté fasciné.
    * [le Dr Theodore Stephanides
    Après cette première rencontre, j’étais sûr de ne jamais le revoir, convaincu qu’un personnage aussi savant n’avait pas de temps à perdre avec un garçon de dix ans. Le lendemain, pourtant, je recevais de sa part un microscope de poche et une invitation à venir goûter chez lui en ville. »

    Gerald Durrell, Oiseaux, bêtes et grandes personnes

    Theodore Stephanides dans son cabinet de travail avec Gerald Durrell, par Paul Cox
    © Durrell Collection (source : ResearchGate

  • Corfou à nouveau

    Dans Oiseaux, bêtes et grandes personnes (Birds, Beasts, and Relatives, 1969), deuxième volet de La trilogie de Corfou, Gerald Durrell revient, douze ans plus tard, sur ce séjour paradisiaque raconté dans Ma famille et autres animaux.

    Durrell BirdsBeastsAndRelatives.jpg
    Première édition, 1969

    Durrell commence par une conversation. Pour la première fois depuis la guerre, toute la famille est réunie en Angleterre. Une tempête de neige fait rage au début du printemps. Larry, l’aîné, se plaint de cet « effroyable pays » où il se retrouve enrhumé pour la première fois depuis douze ans passés loin de « l’Ile du Pudding » et soupire en pensant à la Grèce, ce qui suscite une réaction en chaîne : ses frères et sa soeur se plaignent du « fichu livre de Gerry ».

    Leslie a mis du temps à s’en remettre, Larry et Margo se sont sentis caricaturés. La mère a trouvé leurs portraits « très justes » mais elle-même dépeinte « comme une parfaite imbécile ». A son avis, Gerry n’a pas choisi « les meilleures histoires ». Enchanté de les entendre évoquer d’autres souvenirs, celui-ci leur annonce un autre livre sur leur vie à Corfou. Furieux, Larry promet de le poursuivre en justice s’il le fait – « il ne me restait qu’une solution : m’asseoir et l’écrire. » (Un des objectifs de Gerald Durrell était de récolter des fonds pour le zoo qu’il avait fondé sur l’île de Jersey en 1959.)

    « L’île s’étale au large des côtes de Grèce et d’Albanie comme un long cimeterre rongé par la rouille. » Ainsi commence la magnifique description de Corfou qui ouvre Oiseaux, bêtes et grandes personnes. Le récit de leur séjour en Grèce est rapporté ici en trois lieux successifs : Perama, Kontokali et Criseda. Un défi pour l’auteur : ne pas embêter les nouveaux lecteurs par des rappels constants ni les autres par des redites. Le livre peut donc se lire à part.

    Installée dans une villa couleur de fraise écrasée, avec l’aide de Spiro, « un petit homme rond comme un tonneau », toute la famille vaque bientôt à ses activités préférées : Larry récite des poèmes, leur mère cuisine de délicieux repas, Margo prend des bains de soleil et Leslie se met à collectionner les armes anciennes. Gerry, dix ans, passe son temps au jardin. « Si luxuriants qu’eussent été nos divers jardins en Angleterre, ils ne m’avaient jamais procuré un tel assortiment de créatures vivantes. Je me sentais en proie à la plus curieuse sensation d’irréalité. C’était comme si je commençais à naître. »

    Gerald Durrell rend à nouveau ce mélange de curiosité et d’espièglerie qui caractérise sa façon d’aborder les choses de la nature et les gens à cette période si marquante de sa vie. Intrigué au plus haut point par deux bousiers qu’il a vus rouler une boule de bouse de vache jusqu’à une espèce de trou-terrier, il interroge les siens. « J’étais une bouillante marmite de questions auxquelles la famille était incapable de répondre. »

    Larry lui parle alors de Fabre, un naturaliste qu’il devrait lire. Son petit frère est ravi quand arrivent ses Souvenirs d’un entomologiste – Le scarabée sacré qu’il lui a commandé. « Le texte était charmant. » George, qui lui donne des cours particuliers, a compris que mêler des animaux aux autres matières est une bonne méthode pour y intéresser Gerry. L’histoire naturelle reste sa matière préférée. Le garçon aime aussi regarder George s’exercer à l’escrime contre les oliviers.

    Grâce à lui, Gérald Durrell a rencontré un homme remarquable devenu « la personne la plus importante » de sa vie, le Dr Theodore Stephanides, une encyclopédie vivante, qui devient leur ami à tous ; ce récit lui est dédié, « en témoignage de gratitude ». Toute la famille fait des progrès en grec et ils sont invités au mariage de Katerina, sœur de la servante Maria. Une cérémonie interminable mais une fête magnifique joliment racontée.

    Bien sûr, l’observation du comportement animal occupe énormément Gerry, qui s’émerveille de la vie sous-marine de jour (autour de l’île où vit un moine fâché de voir Margo y prendre des bains de soleil) et parfois de nuit (dans la barque d’un pêcheur). On fait connaissance avec l’ânon de Gerry, on assiste à l’accouchement du premier fils de Katerina, on apprend comment l’argyronète (une araignée) est « l’inventeur de la cloche à plongeur ».

    Un ami de Larry, sculpteur et accordéoniste, fait à Gerry le plaisir de s’intéresser à ses découvertes. Quand il installe un hippocampe dans un aquarium, le garçon est le premier surpris, après avoir observé la naissance de ses petits, d’apprendre par Theodore que c’est leur père et non leur mère qui les portait. Toute la famille s’enthousiasme pour les hippocampes, mais pousse en général des cris devant ses captures et ses expériences qui envahissent leur espace.

    Un paysan qui accuse le chien d’avoir mangé ses dindes, un juge collectionneur de timbres, une spirite, une fête des vendanges, une comtesse, un couple homo, un tour en yacht, Oiseaux, bêtes et grandes personnes regorge d’anecdotes savoureuses et d’épisodes divertissants.